Interviews et conférences de presse
Interview du Premier ministre Nikol Pashinian avec France 24
France 24, Marc Perelman - Nous sommes sur le plateau de France 24. Notre invité est aujourd'hui le Premier ministre de la République d'Arménie, Nikol Pashinyan, Merci, Monsieur le Premier ministre, vous avez assisté à la cérémonie d'entrée de Missak Manouchian et de sa femme Melinée au Panthéon. Ils étaient communistes, mais aussi Arméniens. Qu'avez-vous ressenti ?
Premier ministre Nikol Pashinyan - C'était une manifestation très émouvante, et je dois dire que cette manifestation a eu un écho très large en Arménie; la télévision publique arménienne l'a retransmise en direct et a reçu un grand écho de la part de notre public. Bien sûr, le sentiment de fierté et la reconnaissance du fait que le peuple arménien a apporté une contribution très significative et sérieuse à la lutte contre le fascisme, non seulement sur le front de l'Est, mais aussi sur le front de l'Ouest. C'est très important.
France 24, Marc Perelman - Je voudrais revenir sur la situation en Arménie. Depuis la prise par l'Azerbaïdjan du Haut-Karabakh en septembre dernier, comme il y a quelques jours, les tensions sont réapparues. Vous avez rencontré à Munich le président Aliyev, qui a qualifié cette rencontre de constructive et d'utile. Pouvez-vous dire qu'il y a de l'espoir et des progrès dans vos relations ? Qu'en pensez-vous ?
Premier ministre Nikol Pashinyan - Malheureusement, au cours de cette période, il y a eu des cas où il y a eu beaucoup de choses constructives et utiles dans la salle de négociations, mais nous ne les voyons pas toujours se réaliser à l'avenir. J'espère qu'il en sera de même cette fois-ci. Ce dont nous parlons, ce sont les trois principes de base convenus à Prague et à Bruxelles, à savoir que l'Arménie et l'Azerbaïdjan reconnaissent mutuellement leur intégrité territoriale sur la base de la déclaration d'Alma-Ata de 1991, ce qui signifie que l'Arménie soviétique et l'Azerbaïdjan soviétique sont précisément la République d'Arménie et la République d'Azerbaïdjan d'aujourd'hui.
La Déclaration d'Alma-Ata devrait devenir la base politique de la délimitation entre les deux pays, ce qui signifie qu'il n'est pas nécessaire de créer une nouvelle frontière entre nos pays, mais il suffit d'exprimer sur le terrain les frontières qui existaient à l'époque de l'effondrement de l'Union soviétique. Troisièmement, les communications régionales devraient être ouvertes sur la base du principe de souveraineté et de juridiction des pays, dans le cadre de l'égalité et de la réciprocité. Nous avons réuni et exprimé ces principes dans le projet " Carrefour de la paix ". Si l'Azerbaïdjan réaffirme concrètement ses engagements dans tous ces domaines, nous n'aurons pas beaucoup d'obstacles sur le chemin de la paix.
France 24, Marc Perelman - Selon vous, Monsieur le Premier ministre, un accord de paix est-il possible dans un avenir proche ? J'ai lu récemment vos déclarations sur les événements du 14 Février. Pensez-vous qu'Ilham Aliyev prépare une attaque contr l'Arménie ?
Premier ministre Nikol Pashinyan - Le problème principal est que les trois principes qui ont été déclarés et publiés dans le cadre des accords conclus dans les plateformes internationales, nous avons un problème de traduire ces principes dans le traité de paix. En d'autres termes, c'est ici que se situe notre problème.
Quant à l'escalade possible, en analysant ces problèmes, ainsi que les déclarations de l'Azerbaïdjan, du Bakou officiel, nous arrivons à la conclusion que, oui, une attaque contre l'Arménie est très probable. Pourquoi ? Parce que, par exemple, le Bakou officiel fait très souvent des déclarations sur l'" Azerbaïdjan occidental ", et les déclarations sur l'" Azerbaïdjan occidental" signifient, en bref, que Bakou considère l'Arménie d'aujourd'hui, en fait, tout son territoire comme un "Azerbaïdjan de l'Ouest". Cela signifie que la plupart des territoires de la République d'Arménie sont azerbaïdjanais.
Lorsqu'ils ne reconnaissent pratiquement pas notre intégrité territoriale et l'inviolabilité de nos frontières, c'est de là que viennent ces analyses. Je veux dire qu'au niveau diplomatique, l'Azerbaïdjan assure qu'il n'a pas l'intention d'attaquer, mais d'où viennent ces opinions sur la possibilité d'une attaque ? Premièrement, c'est le fait qu'en exprimant les principes déjà acceptés publiquement dans le texte du traité de paix, nous voyons que l'Azerbaïdjan déclenche certaines difficultés, deuxièmement, c'est le discours public, la rhétorique entendue au plus haut niveau, qui, si nous la résumons brièvement, s'exprime en appelant la République d'Arménie "Azerbaïdjan occidental" et en faisant preuve d'agressivité à la frontière.
Le dernier incident, qui a fait quatre victimes, n'est justifié par rien. Ils ont dit qu'un de leurs soldats avait été blessé, et nous avons dit que nous allons faire une enquête parce qu'il y a un ordre de ne pas mener d'actions injustifiées, et s'il s'avère qu'il y a eu une violation de cet ordre, il y aura des conséquences stipulées par la loi. Malgré ces déclarations, l'Azerbaïdjan a profité de l'occasion pour faire preuve d'agressivité. C'est l'ensemble de ces faits qui fait croire à de nombreux experts arméniens et internationaux que l'Azerbaïdjan prépare une nouvelle attaque contre l'Arménie.
France 24, Marc Perelman - Donc quand on voit Ilham Aliyev, la conséquence c'est qu'on ne peut pas lui faire confiance.
Premier ministre Nikol Pashinyan - Je pense que l'histoire de nos relations est basée sur une profonde méfiance. Je pense qu'il est inutile de demander mutuellement au dirigeant de l'Azerbaïdjan et à moi-même si nous nous faisons confiance ou non. Il est évident que ce n'est pas le cas. Mais le problème n'est pas là, le problème est le suivant : allons-nous construire la confiance à petits pas ? C'est dans le processus de construction de la confiance que nous avons des difficultés.
France 24, Marc Perelman - Et vous pensez qu'il n'est pas prêt à cela ? Quand il dit qu'il est prêt pour la paix, est-ce qu'il se prépare vraiment à la guerre ? C'est ce que vous voulez dire ?
Premier ministre Nikol Pashinyan - Je veux dire que oui, il y a une telle impression, mais mais pour être objectif, je suppose que si vous les interrogez, ils diront aussi qu'ils ne nous font pas confiance, mais ce n'est pas de cela que nous parlons. Il s'agit d'autre chose : de savoir si nous nous préparons mutuellement pas à pas, à petits pas, si nous pouvons construire la confiance à grands pas de manière à ce que nous croyions à la parole de l'autre. Je le répète, lors des contacts diplomatiques, le dirigeant de l'Azerbaïdjan a déclaré qu'il n'avait pas l'intention de lancer une attaque. Et le problème, je le répète encore une fois, c'est que la déclaration publique, le travail pratique qui a suivi et les développements sur le terrain sont ce qui donne à de nombreux analystes la base de telles conclusions. Il est parfois très difficile de s'opposer et d'apporter des contre-arguments, donc pourquoi pas.
France 24, Marc Perelman - Vous avez déjà l'aide militaire de la France sous forme de radars. Par exemple, M. Macron a aussi promis d'autres armes, notamment défensives. Bakou en profite pour dire qu'il va lancer une nouvelle attaque. Cela signifie-t-il que l'Arménie devrait s'armer davantage car l'Azerbaïdjan est en réalité plus fort militairement ?
Premier ministre Nikol Pashinyan - Hier, lors de ma déclaration conjointe avec le président Macron, j'ai également abordé cette question, car à chaque fois que l'Azerbaïdjan fait des histoires à propos d'un nouveau contrat et d'une coopération dans l'un de nos domaines militaro-techniques, c'est l'Azerbaïdjan qui le fait. sans dire qu'il achète des milliards d'armes depuis des années. C'est un fait important à noter.
D'autre part, pourquoi l'Azerbaïdjan s'inquiète-t-il des réformes de l'armée arménienne alors qu'elle maintient les territoires souverains de l'Arménie sous occupation et que nous disons : "Eh bien, exprimons la frontière sur le terrain et, mutuellement, à partir de la ligne frontalière sur la base de la déclaration d'Alma-Ata, retirons les troupes au miroir". Il s'agira là d'une mesure très concrète de confiance.
La réforme de notre armée ne doit inquiéter personne. Pourquoi ? Parce que nous disons que nous reconnaissons l'intégrité territoriale et la souveraineté de tous nos voisins. Alors pourquoi s'inquiéter de la réforme de notre armée ? Si nous reconnaissons l'intégrité territoriale et la souveraineté de nos voisins, que nous réformons notre armée et que nous disons que notre armée ne résout et ne résoudra aucun problème en dehors de notre territoire souverain, alors l'Azerbaïdjan exprime son inquiétude et fait du bruit dans ce contexte. Dans quelles circonstances cela peut-il se produire alors qu'il s'agit de résoudre un problème militaire sur notre territoire souverain ? Il n'y a pas d'autre logique. Suis-je en mesure d'expliquer cette idée, ce qu'elle signifie?
Oui, nous réformons l'armée, et d'ailleurs, avoir une armée est le droit souverain de chaque pays. Aucun pays ne peut accuser un autre pays d'avoir une armée. Et nous disons que nous reconnaissons inconditionnellement l'intégrité territoriale de tous nos voisins, c'est-à-dire l'Azerbaïdjan, l'Iran, la Turquie et la Géorgie. Nous n'avons et n'aurons aucun problème à utiliser notre armée en dehors du territoire reconnu par la communauté internationale. C'est dans ce contexte que l'Azerbaïdjan exprime son inquiétude. Pourquoi l'Azerbaïdjan exprime-t-il son inquiétude ? A-t-il des problèmes à résoudre sur notre territoire souverain ? Ce fait même, cette réaction, permet à de nombreux experts de supposer que l'Azerbaïdjan poursuivra sa politique d'agression.
Mais nous proposons également des solutions. Nous proposons plusieurs solutions. La première consiste à exprimer les frontières de 1991 et à retirer les troupes, c'est-à-dire que ni l'Arménie ni l'Azerbaïdjan ne devraient avoir d'équipement, d'armes à feu et de soldats sur le territoire souverain de l'autre. Deuxièmement, nous proposons la démilitarisation de la zone frontalière. Troisièmement, nous proposons un contrôle mutuel des armes. En d'autres termes, si nous aurions des problèmes liés à la menace pour la sécurité de l'Azerbaïdjan, pourquoi devrions-nous faire ces propositions ? C'est l'Azerbaïdjan qui dit que je devrais garder les hauteurs sous contrôle, quel que soit le territoire sur lequel elles se trouvent. Mais il s'agit d'une violation directe de notre intégrité territoriale, d'une politique agressive menée aujourd'hui et, en fait, d'une déclaration d'intention d'abandonner cette politique. C'est un problème.
France 24, Marc Perelman - Lors du récent conflit au Haut-Karabagh, vous avez accusé Moscou de vouloir tourner le conflit contre vous. Pensez-vous toujours que l'objectif de Vladimir Poutine est de vous écarter du pouvoir ?
Premier ministre Nikol Pashinyan - Vous savez, lors des événements de septembre 2023, les plus hauts représentants de la Fédération de Russie ont directement appelé les citoyens arméniens à descendre dans la rue et à remplacer le gouvernement légitime élu. Les chaînes de télévision russes mènent une propagande systématique et continue contre le gouvernement arménien, les autorités élues et moi personnellement, non pas depuis quelques jours, mais depuis six ans déjà. Quelle autre conclusion peut-on en tirer ?
France 24, Mark Perelman - Et ça continue aujourd'hui?
Premier ministre Nikol Pashinyan - Vous savez, pour être honnête, je ne m'intéresse plus à ce sujet. Je ne sais pas si ça va continuer ou pas. Peu importe. Le peuple arménien a montré qu'il n'allait pas renoncer à sa souveraineté, à son indépendance et à sa démocratie et qu'il serait cohérent dans la protection de son intégrité territoriale, l'établissement de relations normales avec ses voisins et l'agenda de la paix, ainsi que le projet "Carrefour de la paix" en termes de mise en œuvre et aussi en termes d'approfondissement des relations avec l'Union européenne.
France 24, Marc Perelman - Est-ce que vous parlez avec Vladimir Poutine?
Premier ministre Niko Pashinyan - Oui, nous avons eu des contacts, nous avons eu des échanges en décembre.
France 24, Marc Perelman - Avez-vous confiance en lui ?
Premier ministre Nikol Pashinyan - Vous savez, nous sommes dans des relations interétatiques, et l'Arménie et la Russie ont une longue histoire de relations. L'histoire de ces relations s'appuie sur certaines traditions institutionnelles. Nous nous trouvons dans le cadre de ces traditions.
France 24, Mark Perelman - Il y a un cas : en décembre, un déserteur nommé Dmitri Sedrakov a été arrêté. Les autorités arméniennes assurent qu'elles ne sont pas au courant. Pouvez-vous nous dire ce qu'il en est réellement et si les autorités russes peuvent procéder à des arrestations en Arménie sans que celle-ci ne proteste ?
Premier ministre Nikol Pashinyan - Vous savez, ce cas, l'inquiétude suscitée par ces incidents nous préoccupe beaucoup. Et nous sommes également occupés à enquêter sur cette affaire, et s'il s'avère que tout est comme vous l'avez dit, bien sûr cela entraînera certaines conséquences, parce que bien sûr nous ne pouvons supporter des actes illégaux" sur notre territoir.
France 24, Mark Perelman - Quelles conséquences ?
Premier ministre Nikol Pashinyan - Cela dépendra de notre évaluation juridique des événements.
Premier ministre Nikol Pashinyan - Cela va dépendre de notre évaluation juridique des événements.
France 24, Mark Perelman - Deux petites questions. Il y a une base militaire russe sur le territoire arménien. Avez-vous l'intention de la fermer et allez-vous vous retirer de l'alliance militaire avec la Russie ?
Premier ministre Nikol Pashinyan - Vous savez, l'Organisation du traité de sécurité collective, selon notre évaluation, n'a pas rempli ses engagements de sécurité envers la République d'Arménie. En particulier, en 2021, 2022, et cela ne pourrait pas se faire sans conséquences pour nous. Au pratique, la conséquence est que nous avons gelé notre participation à l'OTSC. Ce qui se passera demain, nous le verrons demain.
France 24, Mark Perelman - Et la base russe ?
Premier ministre Nikol Pashinyan - La base est située en Arménie dans le cadre du traité de sécurité collective. C'est donc une dimension de traité complètement différente, et nous n'avons pas eu l'occasion de revenir sur cette dimension.
France 24, Marc Perelman - Une dernière question, Monsieur le Premier ministre. Concernant la guerre en Ukraine, l'Arménie a d'abord été assez prudente, naturellement, compte tenu de ses relations avec la Russie. Pensez-vous que deux ans plus tard, c'était une guerre juste de la part de la Russie ?
Premier ministre Nikol Pashinyan - J'ai dit que la déclaration d'Alma-Ata était très importante pour nous, car de quoi s'agit-il ? La déclaration d'Alma-Ata porte sur deux choses essentielles. En outre, cette déclaration d'Alma-Ata a été signée par la Russie, l'Ukraine et l'Azerbaïdjan. D'ailleurs, cette déclaration d'Alma-Ata a commencé par l'accord de Bialowieza, signé par la Biélorussie, la Russie et l'Ukraine. Cet accord, qui a ensuite été rejoint par neuf anciennes républiques de l'Union soviétique à Alma-Ata, fait référence à deux choses : l'Union soviétique cesserait d'exister et, deuxièmement, les républiques soviétiques qui l'ont signé deviendraient des États indépendants, reconnaissant l'intégrité territoriale et l'inviolabilité des frontières de chacune d'entre elles. Or, dans l'esprit de la déclaration d'Alma-Ata, qui est aussi très importante pour notre sécurité, nous constatons que ce qui se passe en Ukraine est une violation de la déclaration d'Alma-Ata et nous sommes, en fait, très inquiets.
France 24, Marc Perelman - Les pays occidentaux vous obligent-ils à vous associer aux sanctions contre la Russie ? Est-ce que des marchandises arrivent d'Arménie vers la Russie et est-ce que les pays occidentaux font pression sur vous pour que vous vous joigniez plus largement aux sanctions ?
Premier ministre Nikol Pashinyan - Nous n'avons pas un tel régime de relations: adhérer ou ne pas adhérer, mais d'un autre côté, nous prenons en compte les sanctions existantes, parce que nous ne sommes pas soumis à des pressions ou à des exigences, si nous adhérons pour ne pas maintenir les sanctions, cela affectera nos relations avec ces pays, avec ceux qui appliquent ces sanctions. Et les relations avec ces pays sont importantes.
Alors je suis très content que vous posiez cette question, parce que, en particulier, dans l'Union européenne, il y a de temps en temps des accusations selon lesquelles l'Arménie ne respecte pas les sanctions, que l'Arménie viole le régime des sanctions, mais je peux dire que pendant cette période, la dernière fois en 2023, nous avons reçu des délégations de l'Union européenne et des États-Unis d'Amérique, dont le but était de voir comment la République d'Arménie adhère à ses relations internationales et à ses obligations, comment elle traite ces sanctions. Nous devons affirmer que ni l'Union européenne ni les États-Unis d'Amérique n'ont émis aucune observation à notre égard. Au contraire, ils ont officiellement fait savoir qu'ils n'avaient aucune réserve à l'égard de la République d'Arménie dans le cadre des sanctions.
Mais, malheureusement, comme on en parle peu, nous ne soulevons pour ainsi dire pas ce sujet en particulier, car il s'agit d'une question de travail, de désinformation, de contre-propagande et de désinformation fournies par certains cercles dans certains pays de l'UE et aussi dans les médias sur la base de la diffusion de certaines déclarations accusant l'Arménie. Mais je le répète : l'Union européenne et les États-Unis d'Amérique ont tous deux déclaré qu'il n'y avait aucune raison d'accuser l'Arménie dans cette affaire.
France 24, Mark Perelman - Monsieur Pashinyan, Premier ministre de la République d'Arménie, merci beaucoup d'avoir répondu à mes questions. Merci d'avoir suivi cette émission.